Un retour de l’opacité pour les bénéficiaires effectifs ?

L’accès au public du Registre des Bénéficiaires Effectifs (RBE) a été dénoncé par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) dans son arrêt en date du 22 novembre 2022. Cette décision porte un coup dur au souhait de transparence des affaires.  

Retour sur une décision controversée !

Recontextualisation et mise au point de la situation 

Quelles sont les origines de la directive du 2015/849 ? 

La directive 2015/849 du 20 mai 2015 est l’un des textes fondateurs en matière de transparence des affaires. 

C’est ce texte qui a introduit l’obligation aux États membres de l’UE de constituer un registre central pour y conserver les informations adéquates, exactes et actuelles sur leurs bénéficiaires effectifs, y compris des précisions concernant certains intérêts effectifs détenus : pour qualifier ceci, les professionnels du droit emploient généralement l’appellation anglaise « Ultimate Beneficial Owner » (UBO). 

L’objectif de ce texte ? Prévenir l’utilisation du système financier à des fins de blanchiment de capitaux et/ou de financement du terrorisme. 

La directive du 2015/849 : une définition complète  

La directive 2015/849 du 20 mai 2015 définit les bénéficiaires effectifs comme la ou les personnes physiques qui possèdent ou contrôlent une entité juridique, du fait qu’elles détiennent directement ou indirectement plus de 25% de son capital. Le texte de la directive précise également que l’une des caractéristiques pouvant s’appliquer aux bénéficiaires effectifs réside dans leurs droits de vote. En effet, sont considérés comme des bénéficiaires effectifs les individus qui disposent de droits de vote au sein d’une entité autre qu’une société cotée sur un marché réglementé soumise à des obligations de publicité compatibles avec le droit de l’Union Européenne ou à des normes internationales équivalentes, permettant ainsi de garantir la transparence adéquate pour les informations relatives à la propriété.  

Conformément au chapitre II du texte, la directive précise que les informations consignées dans le Registre des Bénéficiaires Effectifs (RBE) doivent être accessibles sans aucune restriction aux structures suivantes : 

  • Toute autorité compétente, 
  • Les cellules de renseignement financier (CRF),  
  • Les entités assujetties,  
  • À toute organisation ou personne capable de démontrer un intérêt légitime.  

La directive 2015/849 : une évolution en plusieurs étapes 

Première étape : regroupement du Registre des bénéficiaires effectifs avec le Registre du Commerce et des Sociétés  

La France a transposé cette directive dans son droit interne au moyen de l’ordonnance du 1er décembre 2016, complétée dans une moindre mesure par la loi SAPIN 2 du 9 décembre 2016. Par ce biais, il a été décidé d’adosser le nouveau registre des bénéficiaires effectifs sur le Registre du Commerce et des Sociétés (RCS) tenu par les Greffiers des Tribunaux de commerce, qui ont pour mission de vérifier l’exactitude des informations et d’en assurer l’actualisation. 

Deuxième étape : une accessibilité plus étendue pour le Registre des bénéficiaires effectifs 

La directive 2015/849 du 20 mai 2015 a été modifiée par la directive 2018/843 du 30 mai 2018, ce qui a eu pour finalité de changer la substance de sa prédécesseure. Sur le volet de l’accessibilité des informations, elle a notamment modifié la partie du texte suivante : « à toute personne ou organisation capable de démontrer un intérêt légitime » pour la remplacer par : « à tout membre du grand public ». Ce changement d’approche a induit une réorganisation du régime applicable, ce qui a eu pour objet la décision si controversée de la CJUE ! 

Il est important de rappeler que la France a transposé cette directive dans son droit interne via l’ordonnance du 12 février 2020. Par conséquent, les informations relatives aux bénéficiaires effectifs, à l’exclusion des plus sensibles consultables uniquement par les personnes habilitées visées à l’article L561-46 du Code monétaire et financier, sont désormais consultables par le public. 

Quelle est la position de la CJUE sur le sujet ?  

Un désapprouvement affirmé  

Dans son arrêt du 22 novembre 2022, la CJUE estime que l’accès du grand public aux informations sur les bénéficiaires effectifs constitue « une ingérence grave dans les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel« , visés aux articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne. Elle relève qu’en effet, l’ingérence poursuit un objectif d’intérêt général et que cet accès au grand public tend à y contribuer. Elle estime que la mesure n’est ni limitée au strict nécessaire, ni proportionnée, et donc que le nouveau régime (= post directive 2018) portait une atteinte lourde aux droits fondamentaux des personnes concernées par les informations, sans que cette aggravation ne soit compensée par d’éventuels bénéfices, en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. 

Quelles sont les conséquences de l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne ? 

L’UE considère que les dispositions facultatives permettant aux États de moduler l’accès aux dites informations en fonction des circonstances ne sont pas à même de garantir la préservation des droits des personnes impliquées contre les risques d’abus. Elle condamne donc l’accessibilité au public des informations, car cela est jugée attentatoire aux droits des bénéficiaires effectifs.  

Cette décision a déjà conduit l’Irlande, Malte, l’Allemagne ou encore le Luxembourg à verrouiller l’accès de leur registre au public de façon à prévenir tout contentieux. Pour le moment, les informations relatives aux bénéficiaires effectifs sont toujours accessibles en France, via l’INPI ou Infogreffe… plus pour longtemps ? Affaire à suivre !

Rédigé par Quentin Vanson
Rédigé par Quentin Vanson

Titulaire d'une Licence et d'un Master de Droit à l'Université de Bourgogne, Quentin a exercé des fonctions de juristes formalistes au sein de structures publiques et privées, ce qui lui confère une expérience pluri-disciplinaire. À l'affût des dernières nouvelles du monde juridique, il exerce aujourd'hui des fonctions de Responsable Métier - Juriste Formaliste au sein de LegalVision

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