Réforme du régime des nullités en droit des sociétés, fin du montage frauduleux dit “CumCum”, jurisprudence sur la notion de dépendance économique… Retour sur les actualités du droit des sociétés de mars 2025.
Table des matières
Report des directives sur le reporting de durabilité et le devoir de vigilance des entreprises
Sans surprise, les parlementaires européens viennent de valider le report de deux ans de la directive sur le reporting de durabilité (CSRD) et d’un an de la directive sur le devoir de vigilance des entreprises (CS3D). La directive suspensive, appelée “stop the clock”, a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne du 16 avril 2025.
Cette directive, qui est entrée en vigueur le 17 avril 2025, reporte les dates d’application de certaines obligations relatives à la publication par les entreprises d’informations en matière de durabilité, et au devoir de vigilance des entreprises :
- L’entrée en application des obligations de la directive CSRD pour les grandes entreprises qui n’ont pas encore commencé à les mettre en œuvre, ainsi que pour les PME cotées, est reportée de deux ans ;
- La première phase d’application de la directive CS3D est reportée d’un an, dans l’objectif de donner plus de temps aux entreprises pour se préparer aux obligations de la directive. Le délai de transposition par les États membres est également reporté d’un an.
Les États membres doivent transposer cette directive dans leur législation nationale au plus tard le 31 décembre 2025.
Publicité ciblée : plusieurs médias français assignent META en justice
Plusieurs groupes de médias français (représentant plus de 70 % du marché publicitaire des médias, presse et audiovisuel privé et public inclus) ont déposé plainte contre Meta le 22 avril dernier auprès du tribunal des activités économiques de Paris. Le groupe américain, qui réunit les sociétés Facebook, WhatsApp et Instagram, est accusé de pratiques anticoncurrentielles liées à la publicité ciblée.
Les plaignants suivent l’exemple de leurs confrères espagnols, dont 80 d’entre eux ont attaqué Meta pour des motifs similaires à la fin 2023 (le procès doit se tenir à la fin de l’année). Selon leurs avocats, ils souhaitent « obtenir réparation du préjudice économique massif (…) causé par les pratiques commerciales déloyales du géant américain ».
En décembre 2022, la Commission de protection des données irlandaise avait déjà sanctionné Meta pour violation du RGPD. Le groupe n’avait pas recueilli le consentement explicite des utilisateurs concernant la collecte de leurs données personnelles à des fins de publicité ciblée. Les médias, quant à eux, respectaient la législation, provoquant une distorsion de concurrence qui aurait engendré un manque à gagner de plusieurs centaines de millions d’euros de revenus publicitaires.
Si la plainte aboutit, Meta pourrait être contraint de modifier ses pratiques en matière de publicité ciblée pour se conformer au RGPD, ce qui aurait des répercussions significatives sur son modèle économique en Europe. Une décision favorable aux médias français pourrait, par ailleurs, ouvrir la voie à des actions en justice similaires dans d’autres pays européens.
A suivre.
Droit d’option du bailleur : absence du rappel de la prescription
Le droit d’option du bailleur est-il soumis à des exigences spécifiques ? C’est à cette question qu’a répondu la 3e chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 27 mars dernier (Civ. 3e, 27 mars 2025, n° 23-20.030) et publié au Bulletin.
Pour rappel, le droit d’option, régi par l’article L. 145-57 du Code de commerce, donne la possibilité au bailleur ou au preneur de revenir sur le renouvellement du bail lorsqu’un désaccord sur la fixation du loyer existe. Ce mécanisme intervient après que le renouvellement du bail a été explicitement ou tacitement accepté, mais avant qu’un accord définitif sur le loyer n’ait été trouvé.
En l’espèce, le preneur avait pris à bail des locaux commerciaux pour une durée de neuf ans à compter rétroactivement du 1ᵉʳ janvier 2008. Le 19 août 2016, il demande le renouvellement du bail à compter du 1ᵉʳ janvier 2017.Par lettre recommandée du 17 janvier 2018, la bailleresse propose un nouveau loyer, que le preneur refuse.
Le 12 juin 2018, la bailleresse exerce son droit d’option et refuse le renouvellement du bail. Plus de deux ans après, le preneur l’assigne en annulation de l’exercice de son droit d’option et en constatation du renouvellement du bail commercial à compter du 19 novembre 2016.
La bailleresse soulève une fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action du locataire, ce que la cour d’appel lui accorde.
Décision confirmée par la Cour de cassation. En effet, les actions fondées sur le statut des baux commerciaux se prescrivent par deux ans, conformément à l’article L. 145-60 du code de commerce. Le locataire qui a reçu la signification d’un droit d’option, c’est-à-dire un refus de renouvellement, doit donc agir pour demander le paiement de l’indemnité d’éviction dans le délai de deux ans à compter de la signification du droit d’option. En l’espèce, le locataire a tenté de contourner la difficulté en demandant, dans son assignation, non pas le paiement d’une indemnité d’éviction, mais l’annulation du droit d’option. Or, même si le droit d’option avait été irrégulier, il devait lui-même être contesté dans le délai de prescription de deux ans.
Cet arrêt s’inscrit dans une jurisprudence constante qui affirme que le droit d’option du bailleur n’est soumis à aucune condition de forme et ne doit pas mentionner le délai de prescription applicable.
Il peut donc être exercé tant que l’action en fixation du loyer n’est pas prescrite.
Un franchisé commet-il une faute lorsqu’il prépare un projet concurrent pendant l’exécution de son contrat ?
Un franchisé peut-il, pendant l’exécution de son contrat, préparer un projet d’activité concurrente ? Telle est la question sur laquelle s’est penchée la Cour de cassation le 19 mars dernier (Cass.Com. 19 mars 2025, n° 23-22.925), dans un arrêt qui a eu les faveurs du Bulletin.
En l’espèce, un franchisé exerçait une activité d’assistance à domicile au sein d’un réseau appartenant au groupe Orpea. Le voilà qui initie divers actes préparatoires à une activité concurrente (création de société, dépôt de marque, publication sur les réseaux sociaux, etc.). Le franchiseur résilie donc le contrat qui le lie au franchisé, au motif que ces actes préparatoires ont violé diverses obligations pesant sur le franchisé, telles que l’obligation de non-concurrence et l’obligation de loyauté.
Mais la cour d’appel considère que ces actes préparatoires ne sont pas fautifs. Et la Cour de cassation le confirme : « le franchisé peut, sans violer la clause de non-concurrence stipulée au contrat de franchise ni les obligations de loyauté et de bonne foi contractuelles, accomplir des actes préparatoires à une activité concurrente de celle du franchiseur, à condition que cette activité ne débute effectivement qu’après l’expiration du contrat de franchise et de son engagement de non-concurrence ».
La clause de non-concurrence dans un contrat de franchise est donc interprétée restrictivement. Elle n’interdit pas les actes préparatoires à une activité concurrente mais l’exploitation d’une activité concurrente. De fait, sans activité effective, aucun manquement n’est à constater.
Parasitisme et réparation du préjudice subi
Souvenez-vous : de février 2014 à juillet 2015, la société Uber France a lancé, sous le nom d’ « UberPop », un service consistant à mettre en relation des particuliers entre eux pour être transportés au moyen d’un véhicule.
Soutenant que ce service avait été lancé en violation des règles applicables au secteur réglementé du transport de particuliers à titre onéreux, des chauffeurs de taxi ont assigné la société Uber France en concurrence déloyale, pour obtenir la réparation de leur préjudice économique et moral.
Dans un arrêt rendu le 9 avril dernier, la chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass.com, 9 avr. 2025, n° 23-22.122), affirme que :
“Lorsque l’auteur de la pratique consistant à parasiter les efforts et les investissements d’un concurrent, ou à s’affranchir d’une réglementation, rapporte la preuve que le concurrent n’a subi ni perte, ni gain manqué, ni perte de chance d’éviter une perte ou de réaliser un gain, il est seulement tenu de réparer un préjudice moral, lequel est irréfragablement présumé”.
En effet, selon la Haute Juridiction, le service UberPop attirait des personnes au profil différent de celui des clients habituels des taxis ; par ailleurs, le développement des services Uber a contribué à élargir les perspectives de l’industrie du taxi, qui a connu une croissance ininterrompue de son chiffre d’affaires depuis 2007. Le préjudice économique n’était donc pas avéré, rendant infondée la demande de réparation des chauffeurs de taxi.