Les règles de désignation obligatoire des commissaires aux comptes (CAC) dans les sociétés commerciales ont évolué à la suite du décret n° 2024-152 du 28 février 2024. Ce texte, pris pour transposer une directive européenne tenant compte de l’inflation, a relevé de 25 % les seuils financiers au-delà desquels la nomination d’un CAC est imposée. Ces nouveaux seuils s’appliquent pour la première fois aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2024 – c’est-à-dire concrètement aux comptes de l’exercice 2024 examinés lors des assemblées générales de 2025. Quels étaient les anciens seuils en vigueur jusqu’en 2023, et quels sont les nouveaux seuils à appliquer en 2025 ? À partir de quel exercice et dans quels cas faut-il tenir compte de ces seuils réhaussés ? Qu’en est-il du renouvellement des mandats de CAC arrivant à échéance en 2025 ? Autant de questions pratiques auxquelles nous répondons ci-dessous, en nous appuyant sur les textes officiels et la position de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) publiée dans le Bulletin Rapide de Droit des Affaires.
Table des matières
Anciens et nouveaux seuils de nomination d’un CAC (SARL, SAS, SA…)
Avant l’entrée en vigueur du décret de 2024, les seuils issus de la loi PACTE (2019) s’appliquaient de manière uniforme à toutes les sociétés commerciales (SARL, SAS, SA, SNC, SCS, etc.). Une société était tenue de nommer un commissaire aux comptes si elle dépassait, à la clôture d’un exercice, 2 des 3 critères suivants : 4 millions d’euros de total de bilan, 8 millions d’euros de chiffre d’affaires net, et 50 salariés en moyenne. Depuis le 1er mars 2024, le décret 2024-152 a relevé ces seuils à environ 5 millions d’euros de bilan et 10 millions d’euros de chiffre d’affaires, le critère d’effectif restant fixé à 50 salariés. Le tableau ci-dessous récapitule les anciens et nouveaux seuils de désignation obligatoire d’un CAC en fonction de la forme de société ou de la situation :
Sociétés commerciales | Anciens seuils (jusqu’au 31 déc. 2023) | Nouveaux seuils (à compter de 2024) |
SARL, SAS, SA, SNC, SCS, etc. (entreprise seule) | Total de bilan > 4 000 000 € ; | Total de bilan > 5 000 000 € ; |
Filiale significative d’un groupe | Total de bilan > 2 000 000 € ; | Total de bilan > 2 500 000 € ; |
Société mère d’un groupe dépassant les seuils ci-dessus (cumul consolidé) | CAC obligatoire si dépassement des seuils globalement (règle inchangée) | CAC obligatoire si dépassement des seuils globalement (règle inchangée) |
À noter : On entend par filiale significative une société contrôlée par une société déjà tenue de nommer un CAC (par exemple parce que la maison mère dépasse les seuils ou est elle-même auditée). Dans ce cas, les seuils de nomination applicables à la filiale sont réduits de moitié.
Comme le montre ce tableau, les nouveaux seuils 5/10/50 représentent une augmentation de 25 % des anciens seuils financiers (4/8/50). En pratique, cela signifie qu’une société commerciale qui restait juste en dessous des seuils de 2019 peut désormais franchir une marge supplémentaire avant d’être obligée de désigner un commissaire aux comptes. À titre d’exemple, une SAS réalisant 9 millions d’euros de chiffre d’affaires et présentant un bilan de 4,5 millions en 2024 n’aura pas l’obligation de nommer un CAC en 2025, alors qu’elle y aurait été tenue selon les anciens seuils. Bien entendu, en dehors de ces obligations légales, les associés conservent toujours la faculté de nommer volontairement un CAC ou de le demander en justice sous certaines conditions (par exemple, associés minoritaires réunissant au moins 10 % du capital) – ce qui sort du cadre des seuils légaux. Par ailleurs, les sociétés anonymes (SA) et sociétés en commandite par actions (SCA) n’échappent désormais plus à cette logique : alors qu’avant 2019 ces formes sociales devaient ipso facto avoir des commissaires aux comptes, elles sont depuis soumises aux mêmes critères de seuils que les autres. En pratique cependant, beaucoup de SA dépassent de fait les seuils compte tenu de leur taille et de leurs exigences de capitalisation.
Entrée en vigueur : à partir de quel exercice appliquer les nouveaux seuils ?
Le décret 2024-152 est entré en vigueur le 1er mars 2024, mais avec une application différée aux exercices entamés à compter du 1er janvier 2024. Autrement dit, les comptes relatifs à l’exercice 2023 (clos au 31/12/2023 dans la plupart des cas) ne sont pas soumis aux nouveaux seuils. Les nominations obligatoires de commissaires aux comptes décidées en 2024 (sur la base des comptes 2023) devaient donc encore se faire en fonction des anciens seuils de 8 M€ / 4 M€ / 50 salariés. En revanche, pour les exercices 2024, les seuils réhaussés s’appliqueront lors des assemblées générales ordinaires annuelles (AGOA) de 2025.
Cette entrée en vigueur décalée s’accompagne d’une mesure transitoire concernant les mandats de CAC en cours : le décret prévoit expressément que « les mandats de commissaires aux comptes en cours à l’entrée en vigueur du présent décret se poursuivent jusqu’à leur date d’expiration ». En d’autres termes, une société qui avait un commissaire aux comptes nommé avant 2024 continue avec ce commissaire jusqu’au terme normal de son mandat de six exercices, même si elle ne franchit plus les nouveaux seuils. Le décret n’organise pas de révocation anticipée en cas de baisse d’activité sous les seuils relevés – la cessation éventuelle de l’obligation d’audit ne peut donc prendre effet qu’à l’échéance du mandat.
À noter : une société qui clôture son exercice 2024 en dessous des nouveaux seuils (par exemple, un bilan de 4 M€ et 45 salariés) n’aura pas besoin de nommer de CAC lors de l’AG 2025 statuant sur cet exercice. En revanche, si les seuils sont dépassés en 2024 (par exemple, plus de 50 salariés et plus de 5 M€ de bilan), la nomination d’un commissaire aux comptes devra être votée en 2025, pour une durée de six exercices.
Renouvellement d’un CAC en 2025 : appliquer les nouveaux seuils ou les anciens ?
La question la plus délicate concerne le sort des mandats de commissaire aux comptes arrivant à échéance lors des assemblées de 2025. Doit-on, pour décider de renouveler (ou non) le CAC, se baser sur les nouveaux seuils ou sur les anciens seuils franchis lors des exercices antérieurs ? Le Code de commerce prévoit qu’une société n’est plus tenue de désigner un CAC si elle n’a pas dépassé les seuils légaux pendant les deux exercices précédant l’expiration du mandat. Ainsi, un commissaire aux comptes en fin de mandat peut ne pas être renouvelé si la société est repassée sous les seuils durant les deux derniers exercices de son mandat.
La CNCC, par le biais de sa Commission des études juridiques, a pris position sur ce point dans le Bulletin Rapide de Droit des Affaires. Elle considère qu’il convient d’appliquer la législation en vigueur au jour de l’assemblée qui statue sur le renouvellement. Concrètement, pour les AG de 2025, cela signifie que les nouveaux seuils 5/10/50 doivent être utilisés pour apprécier les deux exercices de référence 2023 et 2024 lors d’une décision de renouvellement. Si la société n’a pas dépassé deux des trois nouveaux seuils au titre de ces exercices 2023 et 2024, elle n’est plus obligée de nommer un CAC pour un nouveau mandat.
Cette interprétation a des implications pratiques importantes. Elle implique en effet qu’une entreprise peut cesser d’avoir un commissaire aux comptes en 2025, alors même qu’elle aurait dû le conserver selon les anciens critères. Par exemple, une SARL ayant réalisé 9 millions d’euros de CA en 2023 et 9,5 millions en 2024 dépassait le seuil ancien (8 M€) deux années de suite, et aurait normalement dû renouveler son CAC. Avec les nouveaux seuils (10 M€), ces mêmes exercices 2023 et 2024 ne sont plus considérés comme des dépassements : la société peut donc se passer de CAC à l’issue de l’AG 2025. En pratique, il est recommandé de consigner dans le procès-verbal de l’AG la constatation de la cessation de l’obligation légale de nommer un commissaire aux comptes, afin de justifier l’absence de renouvellement du mandat arrivant à terme.
À l’inverse, si la société a franchi les seuils pendant les exercices 2023 et 2024 d’après les nouveaux critères, elle devra renouveler (ou désigner un nouveau) commissaire aux comptes pour un nouveau mandat à compter de 2025.
En pratique : sécuriser les décisions des AG 2025
En résumé, les seuils à prendre en compte en 2025 sont les suivants : 5 millions € de total de bilan, 10 millions € de chiffre d’affaires hors taxes, 50 salariés (moyenne annuelle), une société étant dans l’obligation de nommer un CAC si au moins deux de ces seuils sont dépassés sur l’exercice de référence. Ces critères s’appliquent aux premières nominations lors des AG 2025 portant sur l’exercice 2024, mais aussi aux décisions de renouvellement (ou non) d’un CAC dont le mandat expire en 2025, en appréciant les seuils sur 2023 et 2024. Pour les assemblées tenues en 2024 sur l’exercice 2023, on se réfère en revanche aux anciens seuils 4/8/50.
Il est primordial pour les dirigeants de bien vérifier la situation de leur société au regard de ces seuils avant l’assemblée générale annuelle de 2025. En cas d’obligation non respectée, les conséquences peuvent être lourdes : le fait de ne pas nommer un commissaire aux comptes alors que la loi l’impose expose le dirigeant à des sanctions pénales, et peut entraîner la nullité des délibérations de l’assemblée générale. À l’aube de la saison des AG 2025, une attention particulière devra donc être portée à ces nouveaux seuils et à leur application, afin de sécuriser juridiquement les décisions des entreprises et de leurs conseils. En cas de doute, il est conseillé de solliciter l’avis d’un professionnel (expert-comptable, commissaire aux comptes, avocat) pour s’assurer de la conformité de la démarche à suivre.