Droit des sociétés : textes et actualités de mars 2025

Réforme du régime des nullités en droit des sociétés, fin du montage frauduleux dit “CumCum”, jurisprudence sur la notion de dépendance économique… Retour sur les actualités du droit des sociétés de mars 2025. 

Table des matières

Réforme du régime des nullités en droit des sociétés : ce qu’il faut savoir

L’ordonnance portant réforme du régime des nullités en droit des sociétés était attendue. Elle a finalement été publiée le 12 mars 2025, dans le but de clarifier le régime applicable, de limiter les nullités abusives et d’aligner le droit français sur les standards européens.  

 

Voici les nouvelles règles à connaître, qui entreront en vigueur le 1er octobre 2025. 

 

La simplification du régime des nullités en droit des sociétés

La réforme unifie le régime existant en supprimant les redondances entre Code civil et Code de commerce. Les articles 1844-10 et suivants du Code civil retrouvent ainsi leur fonction de droit commun. 

Enfin, le critère permettant de déterminer les causes de nullité est clarifié : désormais, la nullité repose sur la notion de «  disposition impérative du droit des sociétés » plutôt que sur les différentes règles établies par les Codes civil et de commerce. 

Enfin, précédemment à la réforme, l’article 1844-10 du Code civil visait la nullité « des actes ou délibérations des organes de la société ». Ces termes sont désormais remplacés par la nullité des « décisions sociales ».

 

La mise en place d’un triple test pour la prononciation d’une nullité

Le premier objectif de la réforme est de limiter les nullités susceptibles d’affecter les décisions sociales. Dans ce cadre, un nouveau mécanisme de contrôle est mis en place par l’article 1844-12-1 du Code civil.

L’ordonnance modifie donc le prononcé automatique de la nullité des décisions sociales en introduisant un « triple test », effectué par un juge. Désormais, pour que soit prononcée une nullité des décisions sociales, 3 conditions doivent être remplies :

  • Le demandeur doit justifier que l’irrégularité porte atteinte à ses intérêts ;
  • L’irrégularité doit avoir eu une influence sur le contenu de la décision sociale ;
  • Les conséquences de la nullité ne doivent pas être excessives au jour de sa prononciation. 

 

La modification des effets de la nullité

Désormais, la nullité de la nomination, du maintien irrégulier d’un organe ou d’un membre d’un organe de la société n’entraîne plus la nullité des décisions prises par celui-ci. Par ailleurs,  les effets de la nullité peuvent être différés si la rétroactivité de la nullité d’une décision sociale produit des effets « manifestement excessifs » pour l’intérêt social.

Enfin, l’ordonnance réduit à 2 ans la durée de la prescription concernant les actions en nullité de la société, au lieu de 3. 

 

Plus de nullité pour violation des statuts 

C’est un changement important. Désormais, sauf en cas de dispositions légales contraires, la violation des statuts ne constitue plus une cause de nullité. En outre, l’ordonnance crée la possibilité pour les SAS de prévoir dans leurs statuts la nullité des décisions sociales prises en violation des règles qu’ils ont établies. En dehors de ces dispositions, aucune action en nullité n’est donc possible. 

Actions nouvelles et anciennes : donnent-elles droit au même dividende ? 

Lorsque l’assemblée générale d’une société anonyme décide la distribution de dividendes, les actions émises antérieurement donnent-elles droit au même dividende que les autres actions ? C’est sur cette question que s’est penchée la chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 12 février dernier (Cass.com, n°23-16.179). 

 

Et la réponse est affirmative : il résulte en effet de l’article 1844-1 du Code civil que chaque action d’une valeur nominale identique d’une société anonyme donne droit au même montant de dividende, sauf disposition ou stipulation contraire. 

 

Il n’est donc pas possible, comme l’avait fait la cour d’appel en l’espèce, de distinguer les actions nouvelles des actions ordinaires au prétexte qu’elles n’ouvrent pas les mêmes droits que ces dernières. 

Demande de réparation et preuve du dommage concurrentiel subi

La caractérisation d’une pratique anticoncurrentielle induit-elle nécessairement qu’un préjudice ait été causé aux opérateurs actifs directement ou indirectement sur ce marché ? C’est la question à laquelle la Cour de cassation s’est attachée à répondre le 26 février dernier (Cass.com., 26 février 2025, n°23-18.599)

 

En l’espèce, une société ayant pour activité la distribution de commodités chimiques avait assigné une autre société aux fins de la voir condamner à l’indemniser des préjudices qu’elle prétendait avoir subi à la suite d’une entente anticoncurrentielle. 

 

Mais pour la Cour de cassation, le droit des pratiques anticoncurrentielles a pour objet la protection du libre jeu de la concurrence sur le marché : dès lors, la caractérisation d’une telle pratique n’induit pas nécessairement qu’un préjudice direct ou indirect ait été causé aux entreprises. Ainsi, la partie qui soutient qu’une pratique anticoncurrentielle lui a causé un préjudice doit en rapporter la preuve, ce que la société n’avait pas fait en l’espèce. 

 

L’arrêt retient que l’étude produite par la société selon laquelle les investissements et les résultats d’exploitation des participants à l’entente et de ladite société auraient connu une évolution inversée pendant et après l’entente, est trop succincte et souffre d’anomalies. 

 

Il faut donc en retenir qu’une société qui prétend avoir souffert d’une pratique concurrentielle doit en apporter la preuve tangible. 

Fin du montage frauduleux « CumCum »

A l’initiative du Sénat, la loi de finances pour 2025 a récemment adopté un dispositif de lutte contre l’arbitrage frauduleux aux dividendes (dit montage “CumCum”) dans un cadre international. Celui-ci sera applicable dès le 1er janvier 2026.

Mais de quoi s’agit-il exactement ? Concrètement, lorsque les dividendes sont versés par une société française à des personnes physiques ou morales n’ayant pas leur domicile fiscal ou leur siège social en France, une retenue à la source est prélevée. Le montage CumCum consiste à contourner cette taxation : ainsi, avant le versement des dividendes, l’actionnaire transfère ses actions à un autre actionnaire basé à l’étranger. Dès lors, le jour du versement du dividende, la rémunération revient à l’actionnaire étranger qui n’est pas soumis à cette retenue à la source. Le montage CumCum peut être interne (l’intermédiaire est un résident fiscal de France) ou externe (l’intermédiaire est un non-résident qui n’est pas soumis à la retenue à la source du fait, par exemple, d’une convention fiscale). 

En 2018, dans son enquête « CumEx Files », le journal Le Monde avait mis à jour une vaste fraude fiscale organisée par plusieurs établissements bancaires européens. On estime qu’en France, cette pratique occasionne des pertes de recettes fiscales comprises entre 1,5 et 3 milliards d’euros par an. Or, d’après le Sénat, ces montages frauduleux se sont complexifiés ces dernières années. Certes, jusqu’ici, ils pouvaient être poursuivis sur le fondement de l’abus de droit (article 64 du Livre des procédures fiscales), mais ce dispositif s’est montré inefficace à lutter contre des opérations à grande échelle. 

L’article 96 de la loi de finances pour 2025 vient donc combler une importante lacune. Pour cela, le législateur consacre la notion de « bénéficiaire effectif », qui permet d’atteindre le bénéficiaire final même en présence de structures intermédiaires. Il met également en place, à titre conservatoire, une retenue à la source sur les dividendes et produits assimilés versés aux résidents d’un État bénéficiant en principe d’une exemption par voie de convention. Ces résidents peuvent toutefois obtenir le remboursement de cette retenue à la source s’ils démontrent qu’ils sont les bénéficiaires effectifs de ces revenus et que ceux-ci leur ont été versés dans le cadre d’opérations ayant un objet principal autre que l’obtention d’un avantage fiscal.

Rupture brutale des relations commerciales : la Cour de cassation confirme sa définition de la dépendance économique

Quel est le point de départ du préavis en cas de rupture d’une relation commerciale par mise en concurrence ? Dans un arrêt rendu le 26 février dernier (Cass.com, n°23-50.012), la chambre commerciale de la Cour de cassation clarifie sa position et confirme sa définition de la dépendance économique.

 

Les faits, tout d’abord : la société X était chargée par la société Y d’assurer le transport de certains déchets issus des stations d’épuration dans le sud-est de la France depuis 2005. Par un email en date du 30 mars 2016, la société Y l’avait informée de son intention de procéder à une mise en concurrence via un appel d’offres. Puis, en janvier 2017, la société X apprenait que son offre n’avait pas été retenue et sa collaboration avec la société Y prendrait fin le 1er décembre de la même année. La rupture brutale des relations commerciales est-elle caractérisée ?

 

Pour la Cour de cassation, l’annonce d’une mise en concurrence ne constitue pas en elle-même une notification de rupture des relations contractuelles, sauf si une date de fin est expressément précisée : “l’écrit par lequel une entreprise notifie son intention de ne pas poursuivre une relation commerciale établie ne fait courir le préavis dû à l’entreprise qui subit la rupture que s’il précise à quelle date la relation prendra fin”. 

 

Qu’en est-il, maintenant, de la dépendance économique, notion qui permet aux juges d’exiger un délai plus long pour rompre des relations commerciales établies ? En l’espèce, la société X contestait la durée de dix mois retenue par la cour d’appel, en raison de sa dépendance économique vis-à-vis de la société Y. La Cour de cassation rappelle que la part prépondérante d’un client dans le chiffre d’affaires d’une entreprise ne suffit pas à caractériser une dépendance économique. En matière de rupture brutale de relations commerciales, elle donne ainsi sa définition de la notion de dépendance économique :

 « L’état de dépendance résulte de l’impossibilité pour la partie qui subit la rupture de la relation commerciale établie de disposer, au moment de cette rupture, auprès d’une ou plusieurs entreprises, d’une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu’elle a nouées avec l’entreprise qui a pris l’initiative de la rupture. »

Cette définition n’est pas nouvelle, mais la Cour de cassation la complète : « Cet état de dépendance ne peut se déduire exclusivement de l’importance de la part du chiffre d’affaires réalisée avec l’entreprise auteur de la rupture »

Il faut donc en retenir que c’est à la société victime de la rupture de prouver une dépendance économique telle que définie par la Cour de cassation, sachant que la part de l’activité perdue dans le chiffre d’affaires réalisé est insuffisante à caractériser une telle dépendance. Il faudra alors justifier, par exemple, d’une impossibilité de remplacer l’activité perdue pendant le préavis.

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