Nouvelles directives contre la lutte antiblanchiment, jurisprudences relatives au bail commercial et à l’évaluation des parts d’une société… Faisons le point sur les actualités marquantes du mois de juin 2025 en droit des sociétés.
Table des matières
Le créancier d’une société ne peut pas agir pour demander la nomination d’un administrateur
Dans ce cas d’espèce, deux sociétés appartenant à un même groupe reprochaient à leur ancien dirigeant des détournements de fonds au profit d’une SAS dont il était aussi président. Après avoir agi en responsabilité pénale et civile contre la SAS et le président, elles avaient obtenu des saisies conservatoires sur leurs actifs. En outre, elles avaient obtenu du juge des référés la nomination d’un administrateur chargé de gérer provisoirement la SAS, ce qu’avait rejeté la cour d’appel.
Dans un arrêt rendu le 7 mai dernier, la Cour de cassation rejette le pourvoi intenté contre cette décision de rétractation, mais pour un autre motif que celui retenu par la cour d’appel : les sociétés se prévalaient de leur qualité de créancières de la SAS, ce qui rendait leur demande irrecevable.
C’est la première fois que la Haute Juridiction énonce ce principe. Pour rappel, la possibilité de demander la nomination d’un administrateur provisoire n’est pas prévue par les textes ; elle est issue de la jurisprudence. Selon une jurisprudence constante, une telle mesure ne peut être prononcée que s’il existe des circonstances rendant impossible le fonctionnement normal d’une société, la menaçant d’un péril imminent.
Pour déclarer irrecevable la demande présentée par un créancier, la Cour de cassation se place sur le terrain de la qualité pour agir. Or, les créanciers sont automatiquement disqualifiés, ne pouvant prouver qu’ils agissent bien pour l’intérêt social.
Lutte anti-blanchiment : nouvelles lignes directrices de l’ACPR et de Tracfin
L’ACPR et Tracfin ont récemment mis à jour leurs lignes directrices conjointes relatives (LDC) aux obligations de vigilance sur les opérations et de déclaration. Elles recommandent notamment le recours à l’intelligence artificielle.
Ces lignes directrices conjointes remplacent celles applicables aux organismes financiers depuis 2018. Elles prennent en compte les évolutions législatives et réglementaires récentes, et intègrent les décisions de la Commission des sanctions de l’ACPR et du Conseil d’État en matière de lutte contre le blanchiment. Enfin, elles s’appliquent désormais aux prestataires de services sur actifs numériques (« PSAN »).
En pratique, ces lignes directrices s’imposent aux organismes assujettis soumis au contrôle de l’ACPR.
Les précisions apportées concernent notamment :
- La détection et l’analyse des opérations atypiques ;
- L’utilisation de la plateforme Ermes pour l’exercice du droit de communication de Tracfin ;
- Les critères à prendre en compte pour déterminer les profils de risque et l’analyse des faits précédant une déclaration de soupçon ;
- Le point de départ du délai de déclaration, désormais fixé au jour où les opérations ont pu apparaître comme suspectes (et non celui du déclenchement d’une alerte interne) ;
- Les conditions de la communication systématique d’informations (Cosi) à Tracfin.
Par ailleurs, pour améliorer la détection de la fraude, le recours à l’intelligence artificielle (IA) est encouragé, que ce soit pour le paramétrage des outils, la surveillance des opérations ou la priorisation du traitement des alertes. L’usage de techniques de traitement du langage, de représentations graphiques relationnelles ou l’analyse d’informations géographiques permettent d’enrichir les données d’opérations et d’améliorer la connaissance des clients.
L’ensemble des lignes directrices est à retrouver ici.
Loi DDADUE du 30 avril 2025 : les mesures qui intéressent le droit des sociétés
La loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes, dite loi DDADUE, est entrée en vigueur le 30 avril 2025. Elle adapte le droit français au droit de l’Union européenne.
Voici les principales mesures à retenir pour ce qui concerne la vie économique et le droit des affaires :
- Bénéficiaires effectifs : Afin de préserver le droit à la vie privée et à la protection des données personnelles, la loi supprime l’accès direct au registre des bénéficiaires effectifs par le grand public. Désormais, l’accès à ce registre est réservé aux sociétés ou entités déclarantes, aux autorités compétentes et aux personnes physiques et morales justifiant d’un intérêt légitime.
- Point d’accès unique européen : Une plateforme numérique nommée « point d’accès unique européen » ou « Esap » devrait être lancée prochainement. Elle centralisera, à terme, les données financières et non financières publiées par les sociétés et les personnes physiques en application des règles européennes Le point d’accès unique permettra aux utilisateurs d’accéder aux informations à travers un portail internet géré par l’Autorité européenne des marchés financiers (Esma), d’effectuer des recherches et de télécharger des informations.
- Rapport sur les paiements effectués par les entreprises « extractives » : Certaines sociétés dont tout ou partie de l’activité consiste à explorer, prospecter, découvrir, exploiter ou extraire des ressources naturelles ou encore à exploiter des forêts primaires ont désormais l’obligation de déposer un rapport au greffe du tribunal de commerce concernant les paiements supérieurs ou égaux à 100 000 € effectués au profit des autorités de chacun des États ou territoires sur lesquels elles exercent leurs activités.
- Actions de groupe : Les actions de groupe relèvent désormais d’un régime unifié pour tous les domaines, excepté la santé publique. La liste des entités autorisées à former certaines actions de groupe est par ailleurs étendue : ce sont les associations agréées, les organisations syndicales représentatives, les syndicats agricoles, mais aussi les associations non agréées justifiant de deux ans d’activité pour les seules actions en cessation du manquement. Des tribunaux judiciaires spécialisés chargés de juger ces actions devraient enfin être mis en place.
Evaluation des parts : l’expert désigné par l’article 1843-4 du Code civil peut retenir différentes évaluations
A la suite de l’exclusion d’un associé d’une SAS, le président d’un tribunal désigne, sur le fondement de l’article 1843-4 du Code civil, un expert chargé de déterminer la valeur des actions détenues par l’associé exclu en application des règles prévues par les statuts.
Les parties étant en désaccord sur la détermination de l’exercice comptable à prendre en considération pour l’évaluation, l’expert leur propose une lettre de mission pour que le juge retienne ensuite l’évaluation pertinente parmi les deux chiffrages effectués.
La SAS ayant refusé de communiquer certains documents à l’expert, l’associé exclu l’assigne aux fins de lui voir enjoindre de communiquer les pièces listées dans le tableau annexé à un courriel que celui-ci lui avait envoyé le 12 mai 2020.
La cour d’appel annule les clauses de la lettre de mission de l’expert. Pour les juges du fond, en proposant une mission consistant à effectuer deux chiffrages et à fournir les éléments d’information en vue d’une fixation de la valeur des parts par le tribunal, l’expert a méconnu les dispositions d’ordre public de l’article 1843-4 du Code civil.
Mais la Cour de cassation censure cette décision dans un arrêt du 7 mai 2025 (pourvoi n° 23-24.041). Elle indique en effet qu’il résulte de l’article 1843-4 du Code civil que l’expert peut, afin de ne pas retarder le cours de ses opérations, retenir différentes évaluations correspondant aux interprétations de la convention respectivement revendiquées par les parties.
A charge pour le juge, après avoir procédé à la recherche de l’intention commune des parties, d’appliquer l’évaluation correspondante. Laquelle s’impose alors à lui.